Dimanche dans la rue
Dérive, ainsi aurait pu s'intituler ce billet. Le voilà tout frais. Je
débute avec quelques petites courses à faire. J’emprunte le pont
Johnson vers les commerces proches. Je dis : course à faire,
dans le sens d’emplettes, mêlées à la flânerie. Le jogging est
au corps, ce que le yoga est à l’âme. Pour ceux et celles qui
vont dans ce sens, je cours uniquement lorsque j’ai un bus à
attraper. Je vais à pied, à vélo. Ici, la saison est longue. Vous
flânez aussi, n'est-ce pas ? Alors, le sujet de mon récit est
simple, l'actualité. Mais avant, je dois passer à l’épicerie,
l’heure où la file d’attente est plus ou moins terminée.
J’aime
bien passer chez London Drug, en général les gens se comportent
bien. Chacun porte sur soi le poids des jours. Des pharmacies
présentes partout en C.-B. Belle offre d'appareils électroniques.
Je m’attarde surtout dans l’allée alimentaire, les sauces, les
pâtes et les craquelins Dare. J’ai la manie de regarder si le
produit contient un taux élevé de sel et de sucre. Les deux ont la
propriété d’être inodores, mais accentués au goût.
Personnellement, je préfère mon sel gris à dose modérée au sel
dissimulé discrètement partout, en abondance. Rebelote pour le
sucre. C’est agaçant à la longue tout ce sucre et tout ce sel à
transporter chez soi. Je finis en jetant un coup d’œil aux
protéines. Elles, qui nous font avancer.
Ici,
la population est surtout blanche. Pas beaucoup de gens de race
noire. Je dis de race noire, car j’ai appris que les noirs ne
proviennent pas tous nécessairement du continent africain. Au London
Drug où je vais, il y a un noir, très foncé mince et grand au
comptoir de service. En termes de pourcentage, ce n’est pas
beaucoup, j’oserais même employer le mot : infime...
pourcentage. J’ai aussi cru reconnaître une femme d’origine
autochtone, à l’une des caisses traditionnelles. L’autre jour,
lorsqu’elle m’a répondu, elle l’a fait sur un ton très
affirmé. Elle n’entendait pas à rire. Pourtant, ma question me
semblait légitime très en deçà de l’inutile. Des gens de cette
communauté, j’en côtoie chaque jour, du regard. Ils font parfois
la manche. Ils sont là, nous aussi. L’ignorance se mêle à
l'impuissance.
Un
soir, j’ai accompagné une femme autochtone jusqu’à la station
de service Shell, non loin, sur Esquimalt Road. Elle est apparue
comme ça, seule, dehors. Elle m’a dit que son conjoint, récemment,
était décédé d’une surdose. Tous deux en route, du Yukon vers
le sud de l’île. Elle me répétait qu’elle voulait fumer et je
lui répondais que j’étais sans tabac. Elle s’est pris un
sandwich, deux bâtonnets de fromage raffiné et un Pepsi. Je lui ai
suggéré de la main un jus. Elle m’a répondu des yeux, pour me
faire comprendre son choix.
J’ai réglé au comptoir et nous
sommes sortis non sans qu’elle me redemande, avant de sortir, pour
des cigarettes. Peut-être que j’aurais du céder à sa demande. Nous avons fait un bout de chemin sur Tyee jusqu’à ce qu’elle me
dise son plan, celui d'aller dormir de l’autre côté du pont
Bridge, Rock..., dans le secteur industriel.
Quelques
mois plus tard, je l’ai entrevue sortant d’un dépanneur, coin
Douglas et Yates. Les cheveux drus et noirs, une cigarette en équilibre entre les dents.
En
ville, collées un peu partout, des affiches, des lettres carrées
brandissant un message, dénonçant le racisme systémique présent
en sol américain. Ce qui se passe aux É.-U. sort des É.-U.. Ce qui
se passe au Canada, reste au Canada. Et ici, que se passe-t-il au
juste, systématiquement?
Notre affiche, dans l’autre langue, se lit, en saccade, ainsi:
In-di-ge-nou-s-li-fe-ma-tt-er. Il
résonnerait tout aussi bien que l’autre message entendu. Un
mouvement tel, scientifiquement capable de... qu’ils nous seraient
encore, aujourd’hui, possible de quoi? Il paraît que...des
chercheurs cherchent, des études étudient. Nous serions l’objet,
la cible désignée, au service des médias sociaux, des sujets
obscurément humains. Une photo en double s’il vous plaît. La
voici.
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