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9.12.19

MagazineEntr'aînés131219*


Vieillisage


Droite dans ses bottes de pluie ornées de petits pois dans toute leur hauteur, Yana contemplait l’inlassable mouvement que les vagues apportaient à ses pieds recouverts de varech. Elle se remémorait quelques questionnements plutôt abstraits, entendus lors de la présentation grand public et, s’intitulant: le trou noir et le genre humain. Qu’y a-t-il de vrai dans tout ce qui a été dit et répété? Qu’y a-t-il de faux dans tout ce qui a été repris? Où se logent l’utopie et son contraire? La science, un télescope ou un canon? Croyait-elle entendre.

Le jour suivant, elle se réveilla dans ce qu’il y a de plus matinal. Le commencement d’une autre journée. Elle se conformait au rituel des saisons comme à celui que dicte le quotidien de chacun. S'habiller, dents et cheveux brossés, et puis, un verre d’eau comme habitude de vie. De bon matin, elle sortit de chez elle le cœur en équilibre. À vide, elle avala du bout des lèvres le brouillard du jour, les pieds au sec. Était-ce ça la réalité? Une simple dose de brume automnale, à ne voir l’horizon qu’à travers le prisme inoculé de la routine? Décembre, lui, apparaissait être le mois de l’ombre. Comment définir ce mois autrement qu’en une salve de jours courts sous le signe nuageux des averses et de rares percées lumineuses? Rien, à ses yeux, n’était plus dérangeant que ce climat humide et menaçant.

À coup de pouce mesuré, sur son écran naissait touche après touche, des lettres regroupées, une image adaptée; en somme, une manière à soi pour signifier quelque chose de ressenti à envoyer.
En marche vers son lieu de travail, surgissait en elle une scène où la beauté devenait l’ultime rempart contre la détresse et l’obscurité du jour. Pourtant, avide de dialogue, l’intelligence n’arrivait plus à communiquer autre chose que des messages préfabriqués et, à construire des courbes bâties à partir d'hypothèses données.

Abruptement, elle mit fin à toutes ces réflexions, allant même les croire inutiles. Coin Pandora et Quadra, elle s’immobilisa devant ce qui pouvait être un buisson ardent couvert de fruits orangés et au bois armé d’épines.
Tout près, elle remarqua une personne allongée dans un sac alourdi par une humidité persistante. Être semi-mort, être semi-endormi? Quel sexe? Cafard humainement tolérable que de voir au sol, ainsi, une forme. Autochtone ou allogène? Puis, à la vue d’un autre corps, elle se ressaisit aussitôt. Jusqu'au creux de l'oreille, se jouait sur son appareil une mélodie du moment.

De courtes phrases, spontanément lui parcourut l’esprit. Quelle heure est-il? Rendez-vous dans dix minutes. Où est ma carte magnétique de l’immeuble? Ai-je versé à boire à l’oiseau et au chat?
Après avoir pris rendez-vous avec son psy, elle contacta l’agence immobilière NPK. Elle leur donna la directive de faire une contre-offre finale, appuyant bien sur finale. Une affaire délicate était sur le point d’aboutir.


Seule depuis bientôt dix ans, elle se souvint de cette maxime lue en voyage: le réel n’existe pas, il émerge en nous. Après sept séances avec une psy, cette dernière lui conseilla de prendre rendez-vous avec son médecin. Ensuite, le pharmacien irait dans le sens prescrit, en toute considération devant les informations déposées à son dossier médical.
Le réel venait de prendre le pas sur le rêve. Une sonnerie programmée lui commanda de sortir son téléphone. Elle lut: DERNIER RAPPEL, communiquez avec l’équipe du service à la clientèle. Merci.



Elle rentra chez elle, se versa une eau pétillante coupée, mit son appareil en mode silencieux. Yana contempla la rue quelques instants, prit l’unique cachet restant, couvrit l’oiseau et se glissa en toute légèreté sous l’épaisse douillette mauve au motif étoilé.
Seul, sur le canapé, le chat Hercule sommeillait avec force. Sur la ville cotière une obscurité lénifiante veillait, sur la mort, sur la vie, également répartie.


                                         Photo:LNH

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