Fleurs
interdites
SVP,
s’abstenir! Pas de fleurs, c’est trop jeté à la rue. Au lieu,
faites un don pour la recherche sur les maladies et contre la
souffrance qui assaillent inlassablement le coeur sensible et le
corps travailleur.
Mais
voyons, admettez-le, il dit préférer à la recherche très
scientifique, les arrangements du fleuriste du coin. Il le connaît
peut-être. C’est un ami de la famille, un voisin, qui sait. Vous
avez déjà entendu ce refrain controversé, légitime.
Oui,
je comprends, ce bouquet, ensuite, il ira tout droit à sa perte. De
plus ces fleurs, elles ne font pas très propres. Si vous saviez dans
quelle condition on les cultive, avec quel engrais, quel produit
systémique. Du tout chimique! De plus, ces compositions florales
n’ont pas grandi ici en pleine nature. Elles ont fait du voyage. Et
ces petites mains lointaines et sous-payées...
Facile
à s’imaginer. C’est comme l’élevage animal. On force, on fait
dans l’optimal et on achemine le paquet à destination, à nous, à
eux.
Les
fleurs et les plantes en soie, celles en plastique, cultivées à
l’étranger. Ah! c’est le bouquet. Belle affaire!
Encore
un débat autour de la rectitude, du correctement acceptable. Est-ce
que les gens éprouvés se soucient de toutes ces histoires? Jeunes,
ils répondront: à bas tout! Aujourd’hui, vieux, jeune ou moins
jeune, le sujet soulève les contraires. Je choisis d’être
subjectif, de prendre position. À fond, pour une cause toute
fraîche. Tous ces « je », devenons « nous. »
Je
n’ai rien contre la science, ses brochures et ses chercheurs. Vous
verrez. C’est très juste même d’envoyer des gens dans l’espace
infini, de modifier la chaîne génétique. Mais d’ici là, je
préfère le voyage sur terre, à rêver et vivre un tour d’émotion
et offrir un arrangement floral, un témoignage de circonstances.
J’admets, le sujet dérange et met certains esprits en position
d’attaque ou sur la simple défensive.
Il
y eut le grand A, des paroles, un projet et puis quoi encore? Ah oui,
la grande fin. La finitude dans un clignement d’yeux comme d’un
souffle une bougie qui s’éteint. Tout est très aménagé, calme,
routine; soudain vous voilà physiquement hors champ. Une fraction de
seconde et vous êtes clic. Tout autour et si loin à la fois, on
finit à travers d’intenses souvenirs à vous observer dans votre
éternité. Aucun ne parviendra à vous l’enlever.
Au
terrain du cimetière paroissial, plusieurs années ont passé. Où
j’avais planté quelques hautes tulipes et des jonquilles, ce
cimetière demeure et toujours occupé. Alors, planter des bulbes
c’est une façon de dire ce qui n’a pu être dit. Un geste
offert, en dernier recours, à l’autre.
Le
mois du décès, la terre, avec la saison qu’il faisait se trouvait
durcie; tandis que les émotions trop montantes s’agrippaient au
corps des survivants. Aujourd’hui, y sont-ils toujours, ces bulbes?
J’irai les voir s’épanouir, les admirer devant soi, dans toute
la splendeur déployée, aux teintes fortes et définies devant les
rayons persistants. Mais c’est si loin tout ça, les cercueils, les
années, que je me résigne et, finirai bien par y aller, en songes,
cette fois.
Ces
tulipes, elles iront en se contractant un jour à la fois jusqu’à
pâlir et puis redescendre en elles-mêmes. Elles renaîtront
poussées par une pareille saison, de quelques couleurs drapées pour
un second numéro, devant cette foule inhumée, parmi ces brins
d’herbe à nouveau réveillés, se forçant eux-mêmes un passage.
De
nos jours, le cimetière existe peuplé de silence. Les êtres
n’oublient pas, ils ont peut-être au mur une photo encadrée, un
meuble souvenir ou encore, quelque part, un signet mortuaire bien
conservé. Avec avril, la poussée est considérable et en nous
résonne toujours cette mystérieuse contradiction.
Louis
Céline