De lit et de trottoir, de Louis-Normand HÉBERT, Victoria, Canada, 05-21.
Droite dans ses bottes de pluie rose fuchsia, Alice contemplait l’inlassable mouvement que
des vagues apportaient à ses pieds recouverts de varech. Elle se remémorait quelques
questionnements plutôt abstraits, entendus lors de la présentation grand public s’intitulant
: le trou noir et le genre humain.
Qu’y a-t-il de vrai dans tout ce qui a été dit et répété ? Qu’y a-t-il de faux dans tout ce qui
a été repris ? Où se logent l’utopie et son contraire ? La science, un télescope ou un
canon, croyait-elle entendre.
Le jour suivant, elle se réveilla dans ce qu’il y a de plus matinal. Le cerveau animé par
l'annonce d'une autre journée porteuse d’activités suffit à provoquer une série de
mouvements, une mise en marche de l'être intégral.
Alice se conformait bien au rituel du quotidien et à celui des saisons. Habillée, dents et
cheveux brossés, et puis, le verre d’eau jamais oublié, une saine habitude à laquelle elle
croyait.
De bon matin, elle sortit de chez elle le cœur en équilibre. À vide, elle avala du bout des
lèvres le brouillard du jour, les pieds au sec. Était-ce ça la réalité ? Une simple dose de
brume automnale, à ne voir l’horizon qu’à travers le prisme inoculé de la routine ?
Novembre lui apparaissait être le mois de l’ombre. Comment définir ce mois autrement
qu'une salve de jours courts sous le signe nuageux des averses et de rares percées
lumineuses ? Rien à ses yeux, n’était plus dérangeant que ce climat humide capable
d'atteindre toutes les régions du corps.
À coup de pouce, sur son écran naissaient, touche après touche, des mots regroupés, une
image adaptée; en somme, une manière simplifiée pour signifier quelque chose de ressenti
ou strictement informatif. Tape la flèche, machinalement.
En marche vers son lieu de travail, surgissait en elle une scène où la beauté devenait
l’ultime rempart contre la détresse et l’obscurité du jour. Pourtant, avide de dialogue,
l’intelligence n’arrivait plus à communiquer autre chose que des messages préfabriqués.
Abruptement, elle mit fin à toutes ces réflexions, allant même les croire superflues,
répétitives. À l'intersection Pandora et Quadra, elle s’immobilisa devant ce qui pouvait être
un buisson ardent couvert de fruits orangés, au bois armé d’épines trop nombreuses.
Tout près, elle remarqua un individu allongé dans un sac alourdi par l'humidité persistante.
Semi-mort, semi-endormi ? Là, à tenter de récupérer une énergie qui venait de moins en
moins les habiter. Dormir sur un trottoir ou sur une bordure dégazonnée.
Cafard humainement tolérable que celui de voir au sol, ainsi, un semblable. Puis, à la vue
d’un autre corps allongé, elle se ressaisit aussitôt, préférant porter son attention à ce que
son appareil lui offrait, des sonorités lentes et mélodiques toutes logées au fond de l'oreille.
De courtes phrases, spontanément lui parcourut l’esprit. Quelle heure est-il ? Où est ma
carte magnétique d’entrée au gym ? Ai-je versé à boire à l’oiseau et au chat ? Le
questionnement prit fin, comme un nuage que les yeux s'obstinent et parviennent à écarter.
Après avoir pris rendez-vous avec son psy, elle contacta l’agence immobilière NPK. Une
transaction à venir qu'il valait provoquer. Elle leur dit de faire une contre-offre à l’offre
transmise précédemment. Une affaire sensible était sur le point de se régler. Seule depuis
bientôt dix ans, elle se souvint soudainement de cette maxime lue en voyage: le réel
n’existe pas, il émerge en nous.
Après six séances avec une psy, cette dernière lui conseilla de prendre rendez-vous avec
son médecin. Ensuite, le pharmacien irait dans le sens prescrit, en toute considération
devant les informations déposées à son dossier médical.
Le réel venait de prendre le pas sur le rêve. Elle sortit son téléphone et lut: DERNIER
RAPPEL. SVP, communiquez avec l’équipe du service à la clientèle.
Alice rentra chez elle, se versa une eau pétillante coupée, mit son appareil en mode
silencieux. Elle prit l’unique cachet restant, couvrit l’oiseau et se glissa en toute légèreté
sous l’épaisse douillette mauve aux motifs étoilés.
Seul sur le canapé, le chat Hercule sommeillait avec force sans jamais penser à demain.
FIN!
Rue de l’Impasse urbaine [perdue]
Droite dans ses bottes de
pluie rose fuchsia, Alice contemplait l’inlassable mouvement que les vagues
apportaient à ses pieds recouverts de varech. Elle se remémorait
quelques questionnements plutôt abstraits, entendus lors de la
présentation grand public s’intitulant: le trou noir et le genre
humain. Qu’y a-t-il de vrai dans tout ce qui a été dit et répété? Qu’y
a-t-il de faux dans tout ce qui a été repris? Où se logent l’utopie et
son contraire? La science, un télescope ou un canon, croyait-elle
entendre.
Le jour suivant, elle se réveilla dans ce qu’il
y a de plus matinal. Le commencement d’une autre journée. Elle se
conformait bien au rituel du quotidien et à celui des saisons. Habillée, dents
et cheveux brossés, et puis, le verre d’eau jamais oublié, comme habitude de vie. De
bon matin, elle sortit de chez elle le cœur en équilibre. À vide, elle
avala du bout des lèvres le brouillard du jour, les pieds au sec.
Était-ce ça la réalité? Une simple dose de brume automnale, à ne voir
l’horizon qu’à travers le prisme inoculé de la routine?
Novembre lui
apparaissait être le mois de l’ombre. Comment définir ce mois autrement
qu'une salve de jours courts sous le signe nuageux des averses et de
rares percées lumineuses? Rien, à ses yeux, n’était plus perturbant que
ce climat humide vous menaçant les os du corps.
À coup de pouce, sur son
écran naissait touche après touche, des mots regroupés, une image
adaptée; en somme, une manière pour signifier quelque chose de ressenti ou strictement une information.
Et tape la flèche.
En marche vers son lieu de travail, surgissait en elle une scène
où la beauté devenait l’ultime rempart contre la détresse et
l’obscurité du jour. Pourtant, avide de dialogue, l’intelligence
n’arrivait plus à communiquer autre chose que des messages préfabriqués.
Abruptement, elle mit fin à toutes ces réflexions,
allant même les croire inutiles. Coin Pandora et Quadra, elle
s’immobilisa devant ce qui pouvait être un buisson ardent couvert de
fruits orangés et au bois armé d’épines.
Tout près, elle
remarqua un individu allongé dans un sac alourdi dans une humidité
persistante. Semi-mort, semi-endormi? Cafard humainement tolérable que
de voir au sol, ainsi, un semblable... Puis, à la vue d’un autre corps étendu,
elle se ressaisit aussitôt; tandis que se jouait sur son appareil une mélodie du
moment.
De courtes phrases, spontanément lui parcoururent
l’esprit. Quelle heure est-il? Où est ma carte magnétique d’entrée au
gym? Ai-je versé à boire à l’oiseau et au chat?
Après avoir pris
rendez-vous avec son psy, elle contacta l’agence immobilière NPK. Elle
leur dit de faire une contre-offre à l’offre précédente. Une affaire
sensible était sur le point de se régler. Seule depuis bientôt dix ans, elle se souvint
de cette maxime lue en voyage: le réel n’existe pas, il émerge en nous.
Après six
séances avec une psy, cette dernière lui conseilla de prendre
rendez-vous avec son médecin. Ensuite, le pharmacien irait dans le sens
prescrit, en toute considération devant les informations déposées à son
dossier médical.
Le réel venait de prendre le pas sur le rêve.
Elle sortit son téléphone et lut: DERNIER RAPPEL. SVP, communiquez avec
l’équipe du service à la clientèle.
Alice rentra chez
elle, se versa une eau pétillante coupée, mit son appareil en mode
silencieux. Elle prit l’unique cachet restant, couvrit l’oiseau et se
glissa en toute légèreté sous l’épaisse douillette mauve aux motifs
étoilés.
Seul sur le canapé, le chat Hercule sommeillait avec force.